Société

La laïcité au Mali : entre révision constitutionnelle et l’indignation des leaders religieux

« Depuis une vingtaine d’années on assiste, un peu partout en Afrique francophone, à une recrudescence des révisions constitutionnelles. Si la question de limitation des mandats présidentiels retient toujours l’attention des médias et les condamnations de la communauté internationale, la question d’un retour de la religiosité dans les nouvelles constitutions africaines passe encore inaperçue […] » Bucumi, Guy, « La religion dans les constitutions africaines : l’Afrique francophone entre héritage laïque et traditions religieuses », In Stato, Chiese e Pluralismo Confessionale, 2020-06-01.

L’avènement de la laïcité a été toujours une énigme pour une bonne partie de la population particulièrement les leaders religieux « musulmans », dans la mesure où 95% de la population est de confession musulmane et dont environ 5% est chrétienne. Cependant, certains protagonistes dénoncent la mauvaise définition ou interprétation de cette forme de laïcité importée, à laquelle il faudra donner une autre lecture qui correspond à la réalité sociale et à l’environnement politique du Mali.

Ainsi, il convient de rappeler que la religion en Afrique précoloniale constituait un rôle important dans la consécration des règles régissant la vie sociétale et parfois principale source du droit. Aussi, l’avènement de la religion en Afrique francophone s’est traduit sous diverses confessions et institutions religieuses, il a toujours su influencer la gestion publique de l’Etat, qui par sa puissance a longtemps prise en considération les aspirations religieuses et coutumières.

En effet, la constitution malienne du 25 février 1992, dans son article 25, dispose que « Le Mali est une république indépendante, souveraine, indivisible, démocratique, laïque et sociale ».

Elle prévoit la liberté de religion et définit le pays comme État laïc en autorisant les pratiques religieuses qui ne constituent pas une menace à la stabilité sociale et politique de l’État. Au dernier article de cette constitution, il est clairement dit que cette forme laïque de la république ne peut faire l’objet de révision.

L’esprit de la Déclaration universelle de la laïcité de 2005, signée par de nombreux experts de trente pays différents proposent trois critères : a) respect de la liberté de conscience et d’expression ; b) autonomie du politique et de la société civile par rapport à des normes religieuses ou idéologiques ; c) non-discrimination.

Nonobstant les nombreuses définitions théoriques données à la laïcité, la réalité sur la scène politique malienne est aux antipodes. Depuis quelques années, la hausse vertigineuse du poids de la religion dans l’arène politique malienne est indéniable. Les élections présidentielles de 2013 ont été un véritable paradigme, dont certains candidats partaient voir les leaders religieux et avaient transformé les mosquées en lieux de campagne.

Ainsi, la loi portant l’avant-projet de la révision constitutionnelle, initiée par les autorités de la transition a été accueilli à bras ouverts par myriade de maliens. En revanche, ce qui pose problème, c’est l’adoption de la laïcité dans cette révision constitutionnelle qui a brandi la colère et a été remise en cause par les leaders religieux, lesquels veulent faire entendre leurs voix et aspirations dans la gestion du pays. Paradoxalement, ces leaders religieux sont consultés en catimini dans la prise des décisions et participent souvent à la nomination des hauts cadres à des postes de responsabilité. Pour défendre leur cause, ces leaders religieux ont organisé des conférences et des Imams en ont fait des thèmes de prêche dans des prières de vendredi.

La coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’Imam Mahmoud Dicko (CMAS) et ses alliés qui avaient joué un rôle prépondérant à la chute du régime Feu IBK, dans un communiqué de presse, ont demandé de sursoir l’avant-projet de la nouvelle constitution et ont plaidé pour l’abolition de la notion de laïcité, une valeur typiquement à la française.

Pour l’auteur Bucumi Guy, la constitutionalisation de la laïcité par les constituants d’Afrique francophone fut, en revanche, une laïcité aux contours flous mais qui marquaient tout de même une volonté paradoxale de sécularisation du constituant africain. La sécularisation est un phénomène socioculturel de perte de pertinence du religieux qui affecte les pays développés. On ne peut comprendre ce paradoxe du constituant d’Afrique francophone qu’à travers l’analyse de la complexité entre religion et pouvoir en Afrique et, ce depuis la période précoloniale.

« Le principe de la laïcité en Afrique est un principe encore confus et dont les contours n’ont jamais été précisés par le législateur. Mal défini et à la portée juridique incertaine, le principe de la laïcité en Afrique francophone souffre davantage d’une ignorance laïque […] » Terme utilisé par la commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) du 9 octobre 2013. La commission estime que c’est l’ignorance de la portée juridique de la laïcité qui est à l’origine d’une application non homogène de la laïcité sur l’ensemble des territoires de la République.

Sans ambages, en Afrique, de ribambelle constitutions de pays francophones sont reposées sur le modèle français de 1958. La laïcité y apparait clairement. Pourtant la laïcité française s’édifie contre l’hégémonie du catholicisme, mais provient d’une histoire dans laquelle le christianisme tient une large place : « La République est laïque – disait le général de Gaulle-, mais la France est chrétienne »

Nous rappelait, Marx Weber, originellement formé en droit, économiste et sociologue allemand que les enfants de la démocratie sont les partis politiques. Lorsque les partis politiques n’ont pas la capacité de dénoncer les mauvaises actions du pouvoir en place, s’ils perdent leur crédibilité à pouvoir inciter les électeurs à aller vers des élections crédibles et transparentes. Il va en sorte qu’un individu joue le rôle des partis politiques et c’est ce qui s’est malheureusement passé au Mali avec cet influent homme religieux Imam Mahmoud Dicko.

In fine, dans un pays comme le Mali, dont la majeure partie de la population est rattachée à des croyances religieuses (Musulmane ou Chrétienne) et le poids de la religion dans la politique est assez dominant, il serait difficile de dissocier la religion à la politique.

Seybou CAMARA, étudiant en droit à l’Université Amadou Hampaté BA de Dakar

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